La mallette
Ils étaient mariés depuis peu quand
il lui fallut se rendre à l’évidence
Les fins de mois venaient trop vite et il était
difficile de vivre ainsi…
Trouvant le temps long elle dit à son mari qu’elle
devrait travailler à l’extérieur pour arriver à
boucler le budget.
Elle trouve enfin un emploi dans un magasin où on
trouve de tout à bas prix un 5-10-15¢ quoi…
Elle est affectée au rayon des chaussures...
Ce secteur était sous la direction d’une vieille
demoiselle qui lui enseigna l’art de faire une vente
en lui disant, bien sur, que le client a toujours
raison.
Ce magasin situé coin Ste-Catherine et St-Laurent
était fréquenté par une clientèle populaire et on y
voyait les gens les plus étranges.
Des travailleurs et des itinérants…
Il y avait aussi des homosexuels qui voulaient
acheter des chaussures de femmes.
On lui disait Mademoiselle, s’il vous plait, je
voudrais ce modèle dans la pointure « 9 » et elle
devait prendre l’ascenseur pour aller dans
l’entrepôt chercher quelques modèles dans la
pointure demandée…
Elle ne savait même pas ce que voulait dire le mot «
tapette » utilisé à ce moment
pour désigner les homosexuels.
Mais comme elle était de nature souriante les gens
l’aimaient bien…
Elle était mal payée et faisait 48 heures par
semaine à 0.65¢ l’heure mais elle était heureuse de
participer au bien-être du foyer…
Elle se faisait un lunch qu’elle mangeait dans un
petit local mal entretenu dont elle ressortait sitôt
sa sandwich avalée pour aller prendre l’air avant de
recommencer à travailler.
Son mari, policier travaillait sur des quarts de
travail différents et il arrivait parfois qu’ils se
croisent dans l’escalier quand il arrivait de
travailler de son shift de nuit et qu’elle partait
pour travailler de jour…
Il dormait le jour et se réveillait quand elle
revenait du travail.
C’était assez difficile…
Elle partait tôt pour être au travail à l’heure…
À certains moments de l’année le magasin faisait une
vente gigantesque pour écouler des choses et faire
de la place pour celles qui rentraient pour la
prochaine saison…
Quand il y avait affluence de clients elle devait
aller prêter main forte au département le plus
achalandé où l’on bouleversait les montagnes de
marchandises mises en étalage sur les comptoirs…
Il fallait remettre un peu d’ordre et ramasser les
articles tombés par terre durant la bataille entre
clientes qui s’arrachaient les serviettes pour
s’approprier la couleur convoitée.
Un jour, alors qu’elle ramassait le tout pour la
xième fois sa main frôle un objet dur sous
l’amoncellement de tissus divers, elle se fraie un
chemin et découvre une mallette (briefcase)…
Étonnée elle décide de l’ouvrir pour savoir à qui
elle peut appartenir mais en voyant son contenu,
elle la referme aussitôt et ne sachant trop que
faire elle fait signe à la personne en charge des
employés de l’étage...
Celle-ci s’approche d’un air contrarié et en
apprenant qu’elle a trouvé quelque chose qui doit
appartenir à un client elle lui dit qu’elle ira
elle-même au bureau de la direction pour l’y
rapporter.
Pas question dit-elle je veux y aller moi-même.
D’accord mais on y va ensemble…
En arrivant au bureau de la direction, le chef a
l’air fâché d’être dérangé.
Elle est dans ses petits souliers et a un peu peur
de ce « Manager » si peu accueillant.
Voilà que j’ai trouvé une mallette dit-elle et je
veux qu’elle soit ouverte en présence d’un témoin…
De plus, j’exige un reçu…
Quoi? Vous exigez un reçu? Est-ce à dire ma petite
dame que vous ne me faites pas confiance?
Ouvrez toujours et on en reparlera…
La mallette ouverte il écarquille les yeux en voyant
tout l’argent qu’elle contient.
Monsieur dit-elle, comprenez-vous pourquoi je veux
un reçu?
Je ne voudrais pas être accusée d’y avoir pris quoi
que ce soit…
Il a toujours l’air aussi contrarié mais il appelle
son comptable et ils comptent
les billets 2 fois et arrivent au total de
$14,002.00…
On se demande pourquoi il y a un billet de $2.00
mais c’est bien le montant.
Ils trouvent des cartes d’affaires et le patron dit
qu’il s’occupera de téléphoner au propriétaire…En
attendant retournez au travail vous avez assez perdu
de temps.
Pas avant que vous m’ayez donné le reçu dit-elle…
Il est furieux…
Elle retourne au travail avec son reçu et raconte
son histoire à sa surveillante qui n’en croit pas
ses oreilles...
Vers 16 heures celle-ci lui dit qu’elle est demandée
au bureau du patron…
Elles s’y rendent, elle est accueillie par le
propriétaire de la mallette qui lui tend la main
d’un air affable…
Le personnage ne parle que l’anglais (c’était chose
courante à cette époque) et tous les commerçants
étaient de langue anglaise dans la partie ouest de
la ville…
Mais la jeune femme lui répond dans la langue de
Shakespeare sans hésiter…
Pour la remercier, l’homme lui tend un billet de
$2.00…
Elle est tellement surprise car elle ne s’attendait
pas à recevoir un cadeau…
Mais elle le regarde droit dans les yeux et lui dit
tout doucement en lui rendant le billet de $ 2.00
« Non merci monsieur, vous semblez en avoir bien
plus besoin que moi »
J’ai un travail honnête dit-elle et je gagne 0.65¢
de l’heure…
En travaillant 48 heures, on arrive assez bien mon
mari et moi…
Puis elle tourne les talons, suivie de la
Surveillante qui marche d’un pas saccadé tellement
elle est furieuse…
De retour à son travail, elle se sent humiliée
d’avoir été traitée de la sorte…
Les autres vendeuses l’ignorent comme si elle était
devenue une pestiférée.
Elle n’a plus le cœur à l’ouvrage…
Il s’écoule environ 30 minutes et on la rappelle au
bureau du personnel où on la remercie de ses
services pour cause d’insubordination et impolitesse
envers un client…
On lui dit qu’elle n’a pas à finir la journée et
qu’elle devra revenir chercher son dernier chèque de
paye le vendredi suivant…
En quittant, elle dit au gérant : « Vous me rendez
service en me renvoyant car si j’avais continué à
travailler pour un patron borné, j’aurais risqué de
compromettre mon avenir en n’ayant aucune chance de
progresser dans la vie… »
En retournant chez elle, elle décide de changer de
chemin et prend les tit-chars
de la rue Ste Catherine direction est...Elle veut
rendre visite à sa belle-mère qu’elle aime comme une
vraie mère. Elle a honte de son attitude envers son
patron et essuie parfois une larme qui coule bien
malgré elle.
Elle descend du tit-char au coin de la rue Frontenac
et attend l’autobus qui la
conduira à la rue Sherbrooke.
L’attente lui semble interminable et elle essaie
d’oublier ses ennuis en regardant les enfants jouer
et se balancer dans l’immense parc clôturé de façon
sécuritaire.
Les cris de joie fusent de partout quand soudain…
Deux immenses autobus se frappent violemment, l’une
entrant dans une maison de brique et l’autre perd le
contrôle et défonce la clôture du parc frappant tout
ce qui se trouve sur son passage. Heurte même un
enfant qui se balance, celui-ci tombe raide mort.
D’autres enfants pris de panique courent vers le
coin le plus éloigné du parc…
C’est comme un cauchemar…
Pendant ce temps, les parents de ces petits qui
demeurent face au parc accourent
à la recherche de leurs enfants…
Un père fou de douleur prend la tête de l’enfant qui
gît sur le sol et la laisser retomber en criant «
C’est pas le mien ça » puis il court comme un fou en
criant le nom de son fils…
Pendant que les ambulances arrivent, les passagers
de l’autobus en descendent
En état de choc, mais peu de blessés parmi eux.
Une femme qui saigne abondamment du nez tient son
étui à lunettes pour y laisser couler le sang puis
elle sort du parc et va s’asseoir sur la bordure du
trottoir en pleurant.
Il y eut plusieurs blessés parmi les enfants…C’était
horrible à voir…
Elle décide de ne pas attendre davantage et monte la
côte à pied pour finalement arriver chez sa
belle-mère en pleurant à chaudes larmes…
Après avoir raconté le tragique accident, elle
oublie de raconter l’incident de la mallette qui n’a
plus d’importance maintenant car elle réalise que
dans la vie il y a toujours plus malheureux que soi…
Demain, elle partira à la recherche d’un nouvel
emploi…
Quel courage tout de même…
À bientôt mes amis je vous réserve de nouvelles
surprises…
Votre amie…
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