Au feu!!!
Dans une maison paisible, un drame se prépare…
Après les fêtes, c'est-à-dire après les « Rois »,
mon frère Gérard, âgé de 14 ans repart pour le
collège avec des boites de sucre à la crème et
autres bonnes choses faites « maison » mais aussi
avec la sévère recommandation de prendre grand soin
de la montre reçue en cadeau à Noël car il avait
perdu celle reçue l’année précédente…
En cette nuit du 18 janvier 1938, il fait tellement
froid
(-17°F ou -27°C) que ma mère éprouve de grands
frissons…
Elle en fait part à mon père qui lui fait une ponce
de gin de Kuyper croyant qu’elle couve la grippe…
Mais rien à faire, elle tremble de tous ses membres,
est-ce qu’elle pressentait le drame qui allait
s’abattre sur la famille?
Le téléphone sonne vers 4heures, mon père descend
rapidement l’escalier pour répondre, car à cette
époque il n’y avait pas de téléphone à chaque étage,
et nous, les filles, sommes réveillées par ses
sanglots…
Que se passe-t-il, on n’a jamais vu ou entendu notre
père pleurer, ça doit être très grave...
Puis les évènements se précipitent, il remonte
l’escalier en courant pour apprendre à ma mère que
le Collège est en feu, que tous les enfants sont
sortis et réfugiés un peu partout dans le voisinage,
sans autres vêtements que leurs pyjamas, qu’il va
falloir trouver du linge et aller à Saint-Hyacinthe
chercher Gérard…
Gérard est retourné au collège après le congé des
fêtes, mais rien ne laisse présager pareille
catastrophe.
Un copain qui demeure dans la même ville n’a pu
retourner avec lui, étant atteint de la rougeole…
Il a eu la vie sauve grâce à cette épidémie…
Tout s’organise le plus rapidement possible pour que
mes parents puissent prendre le premier train à
7hres du matin…
Pas question de sortir la Packard car les chemins ne
sont pas ouverts.
À leur arrivée sur les lieux, l’histoire n’est plus
la même, de nombreux parents cherchent leur enfant…
En face du collège des Frères du Sacré Cœur il y a
un bâtiment, probablement le gymnase, où on a
entassé les cadavres de plusieurs enfants et de
frères décédés, de sorte que les parents doivent
aller identifier leur enfant…
D’autres fouillent les ruines encore fumantes du
collège à la recherche d’indices.
C’est très difficile, car l’eau a gelé et même les
boyaux d’arrosage sont pris dans la glace…
Ma mère a l’idée d’aller à l’hôpital où plusieurs
blessés ont été transportés…
La religieuse portière a la liste de tous ceux qui
ont été admis, dont mon frère qui a subi des
fractures à la colonne vertébrale et au poignet…
Avant d’entrer en salle d’opération il raconte qu’il
a été réveillé par les cris des enfants qui heurtent
son lit, quand il réalise le drame qui se déroule
dans le noir, il tousse et étouffe à cause de la
fumée, il ramasse sa montre et saute en bas du
quatrième étage avec un compagnon…
Il atterrit sur la glace et rampe dans la neige
jusqu’à la résidence des frères avant d’être
secouru…
Il est trouvé inerte dans la neige…
Son compagnon ne peut bouger…
Gérard est opéré par le grand chirurgien
orthopédiste le
Dr. Samson de l’hôpital Sacré Cœur de Cartierville
qui se dévoue en opérant gratuitement les enfants
blessés ou gravement brûlés sans s’arrêter durant
plus de 24 heures…
Gérard subit une greffe osseuse à la colonne et pour
ce faire, le chirurgien prélève une mince tranche
d’os du tibia…
C’est du jamais vu et il est transféré en ambulance,
à l’hôpital de Cartierville en banlieue de Montréal
où il est resté 6 mois dans une sorte de corset de
plâtre…
Ma mère voyage en train plusieurs fois par semaine
durant ces 6 mois…
Les journaux font des affaires d’or en mettant à la
« Une », la photo la plus prenante de l’évènement
puis, durant les jours qui suivent, ils font des
rapports réguliers avec force détails…
Les caméras de l’époque fournissent des images de ce
feu fantasmagorique…
On donne la liste des disparus et de ceux qui ont
été sérieusement blessés.
Des photos de ces étudiants s’étalent sur plusieurs
pages avec la mention sous le nom de l’élève, blessé
ou décédé.
Gérard, rentre à la maison 6 mois plus tard et ne
parle jamais de ces choses du passé mais il n’est
plus le même…
Il marche droit et s’en tire sans aucune séquelle…
Mais il n’ose pas aller à la plage avec ses amis à
cause de la cicatrice qu’il appelle en plaisantant
son zipper dorsal…
Il décède 14 ans plus tard à l’âge de 28 ans de la
tuberculose, aucun rapport avec les blessures du
passé…
Les victimes sont ensevelies dans le cimetière de
Saint-Hyacinthe où une énorme pierre tombale est
dressée à leur mémoire…
Tous les noms et l’âge de chaque enfant ou frère qui
ont péri en cette nuit mémorable y sont gravés à
tout jamais…
Une liste de 46 noms figure sur cet imposant
monument…
L’automne dernier, je me suis rendue prendre des
photos au cimetière et j’ai constaté qu’après plus
de 75 ans les gens se souviennent encore…
Il y avait un tout petit bouquet flétrissant au pied
du monument…
Quelqu’un avait pensé à un anniversaire?
J’ai rencontré une religieuse qui travaille aux
archives de la cathédrale et elle m’a raconté
qu’elle avait assisté, impuissante à ce feu et que
les gens pouvaient entendre les cris des enfants
sans pouvoir leur prêter secours…
Évidemment, j’ai raconté ce qui est arrivé dans
notre famille, mais parmi vous qui me lisez, vous
savez peut-être vécu cet événement de façon
différente dans votre famille?
Plus de 75 ans se sont écoulés…Qui pourrait bien se
souvenir de tous ces martyrs?
J’ai voulu, par cet écrit, leur rendre un hommage
particulier.
Votre amie…
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