Le vieux médecin…

Aussi loin que je me souvienne, ce docteur faisait parler de lui dans les salons…
Les dames disaient que s’il ne chargeait pas cher ça devait être qu’il était moins compétant que ses confrères plus jeunes…
Les mauvaises langues s’en donnaient à cœur joie…
Mais le bon docteur n’avait pas le temps de fréquenter la société car il était beaucoup trop occupé à soigner les pauvres gens qui n’avaient pas les moyens de payer les honoraires demandés par les autres médecins…

Ma mère l’avait en grande estime et l’admirait pour ses actes charitables et il était souvent invité à manger à notre table puisqu’il était veuf et sans enfants…
Il disait en riant qu’il n’avait pas eu le temps d’en faire puisqu’il était tellement occupé…
Mon père aimait son humour et surtout ses réparties spontanées…
Peu de gens de la haute société se faisaient soigner par lui, préférant voir de jeunes docteurs par snobisme…
Mais chez-nous, il avait toujours une place de choix…
Il aimait venir se détendre, quand il avait quelques minutes de répit, dans notre immense parterre à l’ombre des érables...

Il allait à domicile quand les gens ne pouvaient se déplacer et il chargeait $1.00 par consultation et le même prix pour un accouchement que ce soit en ville ou à la campagne même s’il devait dépenser de la gazoline pour s’y rendre…
Maman lui avait demandé pourquoi ses honoraires étaient si bas et il répondait que de cette façon il était certain d’être payé et qu’il n’avait pas besoin de payer une secrétaire et des timbres pour envoyer des comptes…
Il avait été sévèrement réprimandé par le Collège des médecins d’avoir à ajuster ses honoraires mais il ne répondait même pas à leurs lettres…
Quand on allait dans son bureau peu éclairé, on pouvait constater qu’il ne soignait pas sa tenue vestimentaire depuis la mort de son épouse mais il se lavait fréquemment les mains pour l’hygiène quand il devait examiner un patient…
Parfois on pouvait deviner ce qu’il avait mangé au dernier à cause des taches sur sa cravate…
Ma mère lui avait même offert de faire laver ses vêtements par notre servante mais il avait refusé…
Comme il ne pouvait se permettre de tomber en panne lors de ses visites à domicile il avait une bonne voiture Packard 1938 qu’il utilisait parfois pour conduire un malade à l’hôpital afin de lui éviter de payer les frais de transport en ambulance…
C’était un homme d’une grande générosité avec le cœur à la bonne place…
Il a été appelé au chevet d’un petit garçon un samedi soir vers 22 heures,
Le papa n’était pas revenu du travail, et comme la maman n’a pas d’argent pour le payer, elle lui demande de venir avec elle au sous-sol…
Étonné, il l’a suit, puis elle lui montre sa belle chienne :
« Golden Retriever »
qui a eu des chiots âgés de 9 semaines…
Elle prend le plus beau et le tend au médecin en lui disant :
C’est pour vous, je lui cherchais un foyer où il serait bien, j’ai trouvé en vous l’homme rêvé pour l’adopter…
Emportez cet ami fidèle qui vous accompagnera partout en auto quand vous allez faire vos visites à domicile…
Il vous protègera quand il sera adulte…
Arrivé chez lui, il lui donna du lait en se promettant d’aller faire des provisions le lendemain…
Il n’était pas tellement heureux de s’encombrer de cet animal sans nom…
Il se prépara pour la nuit, chercha une corde pour sortir le chien pour la première fois et les voilà partis…
Dans sa tête, il se faisait une liste de ce qu’il devrait acheter le lendemain…
pour son petit copain…
Tiens, j’ai trouvé, je vais l’appeler « Copain ». Il lui prépara un petit lit avec un oreillée et se coucha bien tranquillement…
Quelques minutes plus tard, ouvrant un œil il voit Copain couché par terre
vis-à-vis de lui…
Ah non tu ne vas pas me faire ça?
Il ne résiste pas et le couche dans le lit à ses pieds…
Copain vient se loger près de sa tête en lui léchant l’oreille…
La partie est gagnée…Ils sont copains pour la vie maintenant…
Cette bête, en grandissant, est d’un magnifique blond doré…
Et la vie continue…

En apprenant que le fils du voisin aspire à devenir médecin, mais que les parents n’en ont pas les moyens, il paye toutes ses études à la seule condition qu’il établisse sa clinique dans sa ville natale…

Le docteur a le téléphone comme seuls les professionnels, la police, les pompiers, le curé, l’hôpital et les commerçants pouvaient se l’offrir en ce temps de « Crise »…

Un jour, alors qu’il soigne ma sœur pour un mal d’oreilles, il jase avec maman et lui dit :
Vous savez Angéline, mon rêve est d’aller à Rome voir le Pape avant de mourir…
Maman n’en croit rien naturellement, pensant qu’il n’en a pas les moyens mais le rêve devient réalité alors qu’il a plus de 75 ans…

Une retraite bien méritée même si tous ses patients sont désolés de le perdre mais l’âge est là…
À son retour de Rome, il raconte son voyage avec un peu de broderie mais papa rit avec lui en clignant de l’œil…
Il était tellement heureux quand il disait que les italienne étaient toutes folles de lui, mais il n’avait pas voulu céder à leurs avances…
Il prenait de longues marches avec Copain dans le parc, face à sa résidence mais il était visible qu’il s’ennuyait…

Enfin, un soir mon père, n’ayant pas eu de ses nouvelles depuis quelques jours, le trouva mort dans son lit, le visage paisible, comme s’il dormait…
Il avait 80 ans…
Copain était collé contre lui…
Papa l’emmena chez-nous…
Mais il refusait toute nourriture et ne buvait que de l’eau…

Au salon funéraire, les gens attendent en file jusque sur le trottoir pour venir
faire une petite prière devant sa tombe…
Il y avait une foule énorme à ses funérailles…
Des gens pleuraient…
Au cimetière, les gens envoyaient des fleurs sur la tombe…
Pendant que le cercueil descendait lentement, une voix a chanté l’Ave Maria…
C’était la fille du médecin qu’il avait aidé …
Quel bel hommage!

Puisqu’il n’avait plus aucun parent ni neveux ou nièces, il a laissé une fortune colossale à une Université pour aider les garçons sans fortune à réaliser leur rêve de devenir médecin…
Quel grand homme!

Copain est resté avec nous, mes frères et soeurs jouaient avec lui pour le distraire de sa tristesse…
Quand il venait en voiture avec la famille, si nous passions devant la maison de son maitre, il reniflait bruyamment et grattait la vitre comme s’il voulait sortir…
Lui aussi était vieux et il s’est éteint un an après son maitre…

Votre amie qui vous réserve des surprises à la prochaine mise à jour de Papy16…
Serez-vous au rendez-vous?

Votre Amie