LA GARDIENNE

Elle avait treize ans, bâtie comme une femme de 18 ans et on lui demandait souvent de garder les enfants lorsque les parents avaient une sortie à faire…
Ils savaient qu’elle était sérieuse et surveillerait les petits en attendant leur retour…
Pas question pour elle de demander à un petit ami de venir veiller avec elle…
Il n’y avait pas de télévision à l’époque et les distractions étaient rares.
Elle faisait des jeux de cartes en solitaire, brodait, tricotait ou écoutait la radio en rêvant de devenir comme ces vedette à la voix d’or…
Elle aurait été bien incapable de savoir comment y arriver mais elle se bâtissait des châteaux en Espagne, en fermant les yeux.
On la payait 0.50¢ cents par soirée quel que soit le nombre d’heures.

Un jour, sa mère reçoit un appel d’une nouvelle cliente qui a déjà 3 enfants mais veut sortir avec son mari un samedi soir…
Ces gens, ayant une excellente réputation, la mère accepte à la grande joie
de l’adolescente qui voit ses revenus augmenter…
La rencontre a lieu, la jeune fille tombe en admiration devant cette dame d’une élégance incomparable…
Plus tard elle essaie de l’imiter tellement elle la trouve belle
Elle est prête à sortir et lui demande de laver sa vaisselle durant leur absence après avoir donné le bain aux enfants et les avoir mis au lit…
Les enfants sont adorables et elle n’a aucun problème à contrôler la situation
Tout se déroule si bien que la dame lui demande de plus en plus de faire des tâches ménagères qu’elle accepte car elle ne veut pas perdre ce
revenu de 0.50¢ par semaine, vu qu’elle fréquente encore l’école…
Elle ne dit pas à sa mère qu’elle doit faire un travail de servante parce qu’elle n’aurait jamais accepté que sa fille, élevée dans de la soie, serve de servante puisqu’il y avait une domestique chez elle…
Et puis elle lui demanda de passer un chiffon à genoux autour du tapis du salon qui avait une lisière de bois foncé qu’elle devait passer à l’huile de cèdre…
Elle arrivait chez elle et dormait à poings fermés, épuisée…
Un samedi soir, ils l’avertirent qu’ils rentreraient très tard et la dame dit à sa mère qu’elle pourrait coucher dans la chambre du bébé sur un petit lit aménagé pour elle afin qu’elle puisse être près du plus jeune enfant…
Ce soir-là elle regarda partir ce couple élégant en rêvant d’avenir…
La soirée se passa à laver la vaisselle accumulée depuis plusieurs jours, elle fit le repassage car le mari était un professionnel portant
chemises blanches empesées, puis elle alla faire sa toilette, se brossa les dents et enfila rapidement son pyjama, alla vérifier si les autres enfants dormaient et se glissa sous les couvertures où elle s’endormit, la tête à peine posée sur l’oreiller…
Durant la nuit, elle fut réveillée par une odeur de boisson près de sa bouche et sentit des mains baladeuses caresser sa poitrine…
Elle croyait rêver mais quand elle vit l’homme qui tentait de l’embrasser elle s’est assise furieuse et lui intima l’ordre de la laisser passer
Et comme il refusait elle lui dit qu’elle le dirait à sa mère, puis dès qu’elle en eut la chance elle se sauva par la porte car il essayait de la rattraper et chancelait, tellement il était saoul…
Elle saisit sa bourse, son linge et se sauva dehors, sous la pluie battante, enfourcha sa bicyclette et arriva chez sa mère en pyjama à 4 heures du matin,
trempée jusqu’aux os, les vêtements dans le panier de la bicyclette…
Sa mère en entendant la sonnette de la porte se demandait ce qui se passait mais en voyant les larmes de sa fille, elle comprit tout et la prit dans ses bras pour la consoler et la réchauffer…
Elles se sont installées à la cuisine devant un verre de lait chaud, et elle raconta les faits à sa maman en lui disant en sanglotant qu’elle ne voulait plus jamais retourner chez ces gens…

Sois sans crainte, je te donnerai le 0.50¢ moi-même, mais tu n’iras plus jamais garder où que ce soit…
Tu n’es pas la servante de qui que ce soit et je me charge de refuser la prochaine fois que cette pauvre femme appellera…

Le samedi suivant, elle lui répondit que sa fille avait accepté de garder ailleurs,
ne voulant pas lui faire de la peine car elle ignorait tout de l’histoire…
Elle dit à sa mère, qu’elle lui devait 0.50¢ car elle s’était chicanée avec son mari
ce soir là et il avait oublié de la payer à son départ…
Les refus répétés à chaque appel, la dame a fini par trouver quelqu’un d’autre…
Le plus étrange c’est qu’elle ne réussissait pas à garder de gardienne et ne se doutait pas de la raison qui les faisaient démissionner.
Cette jeune fille fut perturbée durant longtemps, elle se posait des questions se demandant pourquoi ce toucher l’avait troublée à ce point, ses sens étaient constamment en éveil, elle avait peur…
Elle rêvait à des mains qui la caressaient et se réveillait en éprouvant un sentiment de culpabilité d’avoir éprouvé du plaisir dans ce rêve fou…
Les choses devenaient de plus en plus compliquées pour elle et elle refusait les invitations des garçons de peur de céder à la tentation.
Elle se repliait sur elle-même en priant la Vierge Marie de la protéger.
C’était devenu une obsession de la peur du péché d’impureté…
Et un jour, après avoir mûrement réfléchi durant plus de 2 ans, elle annonça à sa mère qu’elle voulait entrer en religion…
Elle choisit un couvent chez les sœurs missionnaires et fut affectée en Afrique
où elle passa le reste de sa vie à se dévouer à l’humanité souffrante…
Et à prier pour cet homme coupable d’avoir provoqué son désarroi.

Comme elle avait suivi des cours d’infirmière, elle dirigeait un hôpital de brousse et m’écrivait de longues lettres jusqu’au jour où ce fut le silence…
Le terrible doute s’installa en moi…Doute qui fut confirmé par sa famille…
Elle avait succombé à une morsure de serpent…Serpent qui, lui aussi avait eu envie de sa peau fraîche je suppose…Elle avait 26 ans…
Comme elle avait fait un testament avant de partir on respecta sa volonté d’être enterrée dans cette terre où elle avait enfin trouvé la paix…

Votre amie qui vous dit à bientôt…

Merci Papy16 de m’avoir permis de raconter ce fait vécu par mon amie…