Josée…
La sœur de mon conjoint est
déménagée à Montréal avec toute sa famille composée
de dix enfants et son mari…
Elle est belle et en attend un autre…
Ce n’est pas facile de trouver un logement avec une
telle famille…
Quand ils ont visité le loyer au troisième étage le
propriétaire leur a demandé combien ils avaient
d’enfants et son mari a répondu 6 enfants…
Ils ont pu avoir le logement et sont entrés le jour
même…
Les plus vieux étaient bien avertis de ne pas faire
de bruit en transportant les meubles…
Comme le père était très adroit il a refait tout le
comptoir de la cuisine et le propriétaire était bien
contant…
Mais un jour il est venu collecter le loyer juste
avant l’heure du diner et les enfants entraient de
l’école en disant : Maman je peux avoir un biscuit?
Le propriétaire s’est vite aperçu que la famille
était beaucoup plus imposante et a demandé à ma
belle sœur combien elle avait d’enfants elle lui a
demandé :
Si mon mari vous avait dit 10 bientôt 11 nous
auriez-vous loué?
Certainement pas…
Mais comme je vois que votre mari a l’air de bien
entretenir les lieux je vais vous donner une chance
pour cette année…
Soyez sans crainte, mon mari est vaillant et fera
tous les travaux qui sont nécessaires…
Et les plus vieux feront la peinture…
Ça fait beaucoup de monde à table à chaque repas...
Ils demeuraient en Gaspésie et après des difficultés
financières ils ont décidé de tenter leur chance en
ville…
J’ai été accueillie avec beaucoup de joie par toute
la famille…
Je ne les connaissais pas et Louise nous a invités à
souper…
Mais j’ai décidé de remettre l’invitation à dimanche
en disant que j’apporterais le dessert pour tout le
monde…
Le grand jour venu j’ai emporté un énorme gâteau
renversé aux fraises avec un gros format de crème
glacée…
Les garçons se collaient sur leur oncle et les
filles sur moi naturellement…
Après avoir soupé et lavé la grande quantité de
vaisselle nous avons décidé d’aller au parc
Lafontaine situé tout près de leur logement…
Les enfants ont pu se balancer et jouer aux jeux
disponibles avec leurs nouveaux amis…
Nous avons passé une belle soirée et nous sommes
retournés chez-nous vers 21 heures puisque nous
devions aller travailler le lendemain…
Louise était une mère courageuse qui travaillait dur
pour élever sa marmaille…
Cet été était particulièrement chaud mais elle ne se
plaignait jamais…
La petite dernière, encore aux couches ça devait
être difficile de la soulever dans ses bras pour la
toiletter…
Inutile de dire qu’ils ne roulaient pas sur l’or
mais rien ne paraissait et les enfants étaient
toujours très proprement vêtus…
Ils habitaient tout près de l’église située sur
Papineau dont le curé était très aimé des enfants
car il dirigeait des équipes de tous les sports et
les encourageaient à toujours aller plus loin…
Tout le monde l’appelait le Père Sablon alors que
son nom était De la Sablonnière …
Il dirigeait aussi la chorale dont faisait partie
Ginette Reno qu’il encourageait à aller plus loin
toujours plus loin…
Le père Sablon a aussi pris sous son aile les
enfants de la nouvelle famille et la maman lui était
infiniment reconnaissante et l’invitait parfois à
souper…
Et puis un jour elle m’a annoncé au téléphone que
Josée sortait de l’hôpital…
Mais qui est Josée dis-je…
Ma petite fille qui est très malade dont je ne parle
jamais pour ne pas créer de malaise…
Si tu veux la rencontrer demain elle sera heureuse
de te voir…
C’est une enfant très intelligente mais qui est
différente…
Je dois te le dire afin que tu ne sois pas trop
surprise de la difformité de son corps…
Je ne me fais pas d’illusion car je sais que ses
jours sont comptés puisque aucun spécialiste
n’arrive à établir un diagnostique sur son cas…
Ils l’ont envoyée à Paris et à Londres durant des
mois et elle est revenue plus malade que jamais…
Quand ils l’envoyaient ils demandaient notre
signature pour avoir le droit de l’envoyer et comme
je ne pouvais l’accompagner elle avait une
infirmière qui l’accompagnait jour et nuit tout au
long de son séjour en Europe…
Elle est très souffrante et prend 40 pilules par
jour…
Quand elle est trop souffrante elle ne se plaint pas
mais va s’étendre dans son lit…
Ça la repose aussi de sa chaise roulante…
Elle a de grands yeux qui te regarderont afin de
savoir si tu seras son amie ou non…
Dis donc tu m’impressionne et s’il fallait qu’elle
ne m’aime pas…
J’en serais bien malheureuse…
Sois toi-même et elle va t’adorer…
Le lendemain, j’ai mis ma plus belle robe blanche à
pois marine…
Je venais de faire ma teinture à mes cheveux blonds
et je suis partie avec confiance pour la rencontrer…
Je lui avais emporté un livre soigneusement emballé
car je savais qu’elle aimait lire…
Au cours de ses hospitalisations elle avait vite
appris à lire et à écrire…
Elle souriait de toutes ses dents croches la pauvre
petite…
Puis mes vacances venues je suis allée la voir plus
souvent…
Un après-midi mon mari lui a emmené notre petit
chien de moins d’un an…
Elle était si émue que sa respiration était saccadée
et j’ai dû la prendre dans mes bras pour la calmer…
Un jour elle m’a parlé en anglais en me disant : Je
sais que seulement toi peut me comprendre et ça me
plait…
Pendant mes voyages en Angleterre j’ai appris leur
langue mais personne ne me comprend ici…
Elle était brillante malgré ses 5 ans et s’amusait
avec peu de choses car elle était toujours dans son
fauteuil roulant…
Je devais faire attention quand je lui emportais un
cadeau pour ne pas que les autres enfants soient
peinés…
Je leur disais qu’ils devraient attendre à Noël…
Puis Josée a atteint l’âge de 6 ans, comme elle ne
pouvait pas aller à l’école ses sœurs les plus
vieilles lui montraient à lire et à écrire depuis
longtemps…
Elle s’appliquait de ses doigts malhabiles malgré la
souffrance éprouvée car elle disait que quand elle
serait mariée elle pourrait enseigner à ses enfants
tout ce qu’elle savait…
Pauvre petite, je me demande où elle avait pris
cette idée…
Peut-être une façon de s’accrocher à la vie…
Puis un jour Louise m’a téléphoné pour me dire que
Josée était de nouveau rentrée à l’hôpital Ste
Justine et qu’elle me réclamait…
J’ai promis d’y aller dès le lendemain car il était
trop tard ce soir là…
Le lendemain je suis allée lui acheter une poupée
avec des cheveux blonds comme les miens et je suis
allée la voir…
Son petit visage émacié m’a regardé avec amour puis,
je lui ai donné la poupée qu’elle a prise dans ses
bras en disant Merci …
Elle va toujours coucher avec moi…
L’infirmière est venue me tirer par le bras en me
faisant signe de la suivre…
Je reviens dans 2 minutes Josée…
Qui êtes vous par rapport à elle me dit
l’infirmière…
Je suis sa tante Gaby…
C’est donc vous qu’elle a tant appelé depuis son
arrivée?
Oui, et je suis venue dès que j’ai su qu’elle était
de nouveau hospitalisée…
J’attends ses parents cet après midi car elle doit
être transférée au
Montreal Children’s Hospital où ils ont un appareil
respiratoire plus nouveau que celui que nous
utilisons ici et elle sera plus confortable…
Louise et son mari sont arrivés quelques minutes
plus tard et le transfert a eu lieu en ambulance
avec une infirmière pour l’accompagner…
Je me suis retirée avec le cœur gros…
Arrivée à la maison, j’ai fait le souper pour mon
mari et notre fils mais je n’avais pas faim…
J’ai mal dormi la nuit suivante en pensant à cette
petite fille qui devait souffrir toute seule couchée
dans son lit avec sa poupée…
Le lendemain, Louise m’a téléphoné pour m’annoncer
que Josée était partie…
Que ses souffrances étaient finies…
On doit aller à l’hôpital mais comme tout se passe
en Anglais, mon mari et moi avons pensé que tu
pourrais venir avec nous pour savoir ce que le
docteur pourrait avoir à nous dire…
Il parait qu’il y a des papiers à signer avant de
pouvoir la sortir de là…
J’arrive dis-je…
Arrivés à l’hôpital un jeune médecin nous accueille
avec des papiers en main…
Il nous fait passer dans son bureau et dit en
anglais…
Désolé mais je ne parle pas le français…
C’est moi qui lui réponds en anglais et la
conversation s’engage entre nous quatre car je
traduis à mesure…
Avant de signer quoi que ce soit dit-il je dois vous
expliquer de quoi il s’agir…
Après le décès de Josée il y a eu une réunion de
tous les médecins pour discuter de son cas qui est
resté un mystère pour nous tous…
Comme vous le savez nous avons fait appel à tous les
spécialistes les plus reconnus en Europe car ce cas
nous dépassait mais aucun d’eux n’a pu établir un
diagnostic qui nous aurait permis de la sauver…
Le directeur de l’hôpital m’a chargé de vous
demander si vous autoriseriez qu’on fasse une
autopsie qui nous permettrait peut-être de découvrir
ce dont elle souffrait…
Je me suis tournée vers eux en traduisant ce qu’il
m’a dit mais aussi en leur disant que rien ne les
obligeait à signer ce document…
Prenez un moment de réflexion…
Ils se sont levés et sont allés vers la fenêtre pour
se parler en privé…
Quelques minutes plus tard ils sont revenus avec une
réponse ferme :
Henri a dit : Oui si ça peut aider la science nous
vous autorisons car vous savez, on a dix enfants qui
nous attendent à la maison et si jamais l’un deux
souffrait de cette maladie, nous saurions de quoi il
s’agit…
Henri regardait le médecin droit dans les yeux
pendant qu’il parlait et que je traduisais à mesure…
De retour à la maison ma belle-sœur essayait de
trouver une robe convenable pour que le thanatologue
puisse habiller Josée de façon convenable dans le
cercueil sans trouver quoi que ce soit…
J’ai suggéré de lui mettre une robe de communiante
puisqu’elle devait faire sa première communion au
printemps prochain…
Mais je ne pourrai pas trouver une telle robe en
automne car cette cérémonie a toujours lieu au
printemps…
Laisse moi ça entre les mains je vais essayer de
trouver ce qu’il faut…
Mon mari et moi sommes partis faire les principaux
magasins sans succès…
On a été chez Eaton, Morgan, Simpson rien en stock…
Puis on a pensé à ce seul grand magasin francophone
Dupuis &Frères…
En expliquant la situation à la vendeuse, elle dit :
Je crois que nous en avons dans la réserve. Si vous
voulez bien m’attendre je vais trouver quelqu’un
pour me remplacer et j’irai voir ce que nous avons…
Elle est revenue avec 2 jolies robes blanches et un
voile qui doit accompagner une telle robe…
Mon mari dit : Mais ça ne lui fera pas avec son
ventre difforme…
Non c’est parfait car je sais que les entrepreneurs
de pompes funèbres peuvent couper la robe dans le
dos sans que ça paraisse…
Et puis le voile aidera à cacher certaines
imperfections du corps de la petire…
Elle était pas mal dispendieuse cette robe mais j’ai
payé le tout et nous sommes repartis heureux de
notre trouvaille…
À cette époque, la loi ne permettait pas
l’incinération alors Josée a été exposée tout de
blanc vêtue avec un beau voile blanc qui cachait un
peu la difformité du visage…
Ses frères et sœurs sont venus la voir et la
trouvaient belle maintenant…
L’abbé a chanté la messe des funérailles des anges…
Il a été invité à se joindre à nous après
l’enterrement…
Quand tout a été fini à l’église nos sommes allés au
cimetière Côte des Neiges pour l’enterrement…
Mon mari et moi avions plusieurs des enfants dans
notre voiture et nous suivions le cortège qui
montait la montagne du Mont Royal…
Mon mari avait oublié d’éteindre la radio quand
soudain un chanteur country a chanté « Quand le
soleil dit bonjour aux montagnes »
On s’est tous regardés et il faisait un soleil
aveuglant…
On aurait dit que Josée nous faisait ses adieux…
Pauvre petite martyre…
Elle connaissait enfin la paix…
Quand j’ai eu envie de pleurer je pensais à elle qui
n’était plus difforme dans le Paradis et je savais
qu’elle nous souriait de là-haut…
Je savais aussi qu’elle nous protègerait toujours…
Adieu Petit Ange…
Ta tante…
Votre Amie
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