L’école de la vie…
Après notre mariage je dus déménager
à Montréal et je voulais travailler pour essayer
d’aider aux frais du ménage car les policiers ne
gagnaient pas un gros salaire à cette époque et il
devenait urgent de faire quelque chose pour remédier
à la situation…
Durant les années 40-50 les filles n’allaient pas
toujours longtemps à l’école et je n’avais qu’une
10e année scolaire mais j’avais travaillé
dans une manufacture avant mon mariage et gagnais un
assez bon salaire au laboratoire comme surveillante
du contrôle de la qualité du produit.
Je consultais la rubrique des annonces classées des
journaux sans
succès mais au coin de la rue où nous logions je
vois une immense affiche demandant du personnel…
Je vais remplir un formulaire de demande d’emploi et
on me dit que je commence le lendemain à 8 hres.
Ce n’est pas l’emploi idéal, je suis affectée au
pressage des bas de nylon…
Il y a toute une rangée de jambes métalliques
pointant vers le ciel
Il s’agit d’enfiler un bas dans chaque jambe
métallique d’où gicle de la vapeur…
Les bas à couture arrière ne sont plus à la mode et
ceux-ci font fureur…
Plus besoin de se regarder dans le miroir pour voir
si la barre est bien droite le long de la jambe…
On est début août et il fait une chaleur torride
mais je peux aller dîner à domicile et reviens à
pieds au travail…Cela m’arrange pour le moment…
Un midi je rencontre ma voisine qui m’avertit qu’il
y a un rôdeur qui serait plutôt un voyeur qui
circule dans la ruelle derrière la bâtisse la nuit,
il aurait été surpris a essayer de regarder par les
fenêtres et comme mon mari travaille parfois de
nuit, elle a tenu à me prévenir afin que je ferme
soigneusement mes rideaux le soir…
Je la remercie vivement et rentre manger mon repas…
Mes compagnes de travail sont charmantes et ça me
fait du bien d’avoir des contacts humains car tout
est tellement différent dans cette immense ville
qu’est Montréal.
Je travaille à la sueur de mon front c’est le cas de
le dire mais je suis quand même heureuse d’avoir pu
trouver cet emploi temporaire.
Je dis temporaire car j’ai d’autres ambitions…
Tout va bien malgré cette chaleur suffocante…
Je me suis vite habituée à ces jeunes employées
dynamiques et on me considère comme faisant partie
de la « gang », une petite famille quoi.
On échange parfois des biscuits à la pause et tout
baigne dans l’huile…
Puis il y eût ce matin pluvieux, humide et morose où
en arrivant au travail je lance à la ronde comme
d’habitude…
« Salut les filles »
Un silence glacial m’accueille…Je n’y comprends
rien…
Vraiment, rien de rien…
Je travaille jusqu’à la pause-café en espérant que
tout serait rentré dans l’ordre mais on m’ignore.
C’est la guerre froide…
Voulant en avoir le cœur net, je demande si j’ai pu
blesser quelqu’un
sans le vouloir…
Aucune réponse…
Je continue à travailler jusqu’à l’heure du dîner et
avant de sortir ma surveillante me dit de passer
dans son bureau car elle a à me parler…
Je sais dit-elle que tu t’en vas manger chez-toi
mais je te prierais de ne pas rentrer après dîner…
Quoi? Mais pourquoi?
Tu as dû remarquer que Gisèle n’est pas rentrée ce
matin?
En effet…Elle est malade?
Non son frère de 14 ans a été tué par un policier
dans la ruelle arrière de l’immeuble où tu demeures
et comme ton mari est policier…
Tu vois la situation?
Mais pas du tout, mon mari est affecté au centre
ville, rien à voir…
Comment peut-on me tenir pour responsable?
Je sais que tu es sensible et cette situation ne
peut durer alors je n’ai pas le choix…
J’irai te porter ta paye vendredi pour t’éviter de
faire face aux employées…
Quel toupet…Pourquoi aurais-je honte?
Arrivée chez-moi, je n’ai pas faim et mon mari qui
travaille justement de nuit est couché…
Tout est sombre dans la maison…
Mon cœur éclate et je vide le trop plein en pleurant
un bon coup…
Puis, je décide d’aller voir ma belle-sœur qui
demeure tout près…
Elle est de 5 ans mon aînée et je lui confie ma
détresse…
Que vas-tu faire dit-elle?
Attendre que Bob se réveille et je vais lui annoncer
que je retourne à l’école pour perfectionner mon
anglais de sorte que je ne travaillerai jamais plus
dans l’est de la ville qui est uniquement
francophone…
De plus, j’aurai un diplôme commercial je te le jure
sur ma tête…
J’ai tout l’après midi devant moi et je me rends à
l’école du quartier pour prendre les informations et
je m’inscris aux cours réguliers
de la 11e année commerciale…
En somme c’est la seule année scolaire qui me manque
pour obtenir le diplôme convoité…
L’école commencera le mardi suivant la « Fête du
travail » en septembre…
Voilà, c’est réglé…
À son réveil, mon mari est surpris de ma décision
mais il m’approuve.
Il dit qu’il fera des heures supplémentaires…
Pour ma part, je lui dis que je travaillerai durant
la fin de semaine car je suis certaine de trouver
quelque chose comme vendeuse dans un magasin…
C’est parti et on se partage les tâches de la
maison…
Il passe l’aspirateur puis je fais l’époussetage…
J’étudie quand il travaille le soir…
C’est pas le bonheur total car c’est difficile
d’étudier avec des élèves qui ont 3 ans de moins que
moi mais je travaille fort pour avoir de bonnes
notes…
De sorte que quand vient l’heure du triomphe, je
suis tellement fière
d’annoncer la nouvelle à mon mari que je cours à la
maison le croyant au lit…
Mais celui-ci me reçoit avec un gâteau qui compte 11
chandelles allumées pour mes 11 années de scolarité…
Je savais que tu y arriverais dit-il en m’embrassant
tendrement…
On a passé 10 mois mouvementés on va prendre une
semaine de vacances et après on fera une vie plus
normale…
J’ai eu un peu d’argent en cadeau de la part de mes
parents à Noël et je l’ai mis de côté pour fêter
l’évènement…
On va enfin respirer Ouf!!!
On est allés Plattsburg faire de la plage durant 3
jours puis on est revenus heureux d’aborder une
nouvelle vie.
J’ai pu trouver un travail gratifiant dans l’ouest
de la ville et comme la clientèle du bureau était à
50% anglophone j’avais l’occasion de parfaire mon
anglais…
Puis la télévision a fait son apparition et
j’écoutais les canaux anglais fréquemment…
Il n’y a rien de tel pour améliorer et conserver les
choses apprises.
Quand j’allais au couvent, la religieuse qui
enseignait l’anglais nous disait toujours « Quand
vous parlez l’anglais, vivez en anglais et ne
traduisez jamais mot à mot »…
Elle me disait aussi « vous avez une excellente
prononciation à l’américaine » mais vous avez le
trac de sorte que vous traduisez au fur et à mesure…
Ce conseil m’a été précieux par la suite…
J’ai réussi à me sortir de l’ornière…
Plus tard, pour pouvoir monter en grade, j’ai suivi
des cours à l’Université…
J’ai raconté ces faits afin que vous y songiez
sérieusement avant de décrocher car c’est difficile
de rejoindre les autres par la suite quoique
possible…
Il suffit de travailler avec acharnement et de ne
jamais baisser les bras même en cas d’échec, on se
retrousse les manches et on recommence car plus on a
de connaissances plus on augmente ses chances de
réussir…
Voilà ce que l’école de la vie m’a appris…
Il faut toujours viser plus haut…
Votre amie…
Qui vous dit…
À la prochaine…
Serez vous au rendez-vous?
|