Aimerais-tu…

Quelques jours avant la fin de l’année 1964, j’ai accepté d’envoyer  mon fils
chez sa grand’mère en lui promettant d’aller le rejoindre au « Jour de l’An ».
Mais voilà que ma vieille cousine, me sachant seule pour le Réveillon du Jour de l’An, m’invite à aller au restaurant « Le Toit Rouge », réputé pour sa table gastronomique …
Pour arrondir les fins de mois, je travaille toute la journée en ce 31 décembre 1964 comme répartitrice dans une compagnie de taxi.
Rentrée à la maison, je prends une douche et j’essaie de dormir afin de me préparer à cette sortie qui, je l’avoue, me sera bénéfique car depuis quelques mois, je ne pense qu’à travailler et la fatigue se fait parfois sentir malgré mes 32 ans.
Ma cousine a aussi invité sa filleule à se joindre à nous. Elles doivent venir me chercher en taxi vers 23h 45.
Après une heure de repos, je prends un petit goûter et j’examine ma garde robe pour décider de ma tenue vestimentaire.
J’opte enfin pour cette robe noire garnie d’un mince cordonnet de peau de soie rose qui dessine discrètement le décolleté.
Je me regarde de face et de dos, je suis fort satisfaite car je sais que je serai assez habillée pour cet endroit chic, ma cousine étant tellement informée de tout ce qui touche à la mode que je ne voudrais pas la contrarier.
L’heure est venue. Un coup de fil me prévient qu’elles partent. Je promets de les attendre dans l’entrée de l’immeuble pour éviter de perdre un temps précieux.
Je me réjouis déjà à l’idée de les rencontrer, vu que les occasions de se voir se font rares …
Il fait très froid  en cette fin d’année et je reste à l’intérieur, prête à sortir …
Il entre parfois un locataire qui se hâte vers son appartement après m’avoir dit
« Bonne Année ».
Je ne m’inquiétais pas de ce va-et-vient tout à fait normal en cette veille de fête.
J’ouvre la porte pour vérifier si je verrai le taxi venir au loin, mais je rentre bien vite en apercevant un type à l’aspect louche qui se tient sur le coin de la rue et qui semble attendre quelqu’un …Mais à bien y regarder, il agissait de façon étrange. Il avait l’air de se réchauffer les mains dans les poches de son manteau car il les agitait vivement …En fait je n’y avais pas trop porté attention vu que j’attendais le taxi qui devait rouler prudemment à cause du chemin glacé recouvert d’une fine couche de neige et glissante ...
Je commençais à regretter cette sortie, à cause de la température qui menaçait de se gâter au cours de la nuit …
Soudain la porte s’ouvre de nouveau et je recule, croyant que c’est encore un locataire …
Puis, tout se déroule très vite.
Une main s’abat sur mon bras et une voix d’homme me dit :
« Aimerais-tu ça, en essayer une belle ...? »

Me voilà prise de panique et je hurle à tue-tête …Il prend la fuite …
Le concierge sort de son appartement en combinaison d’hiver et en pantoufles, et le voilà dans la neige …
Juste à ce moment, une voiture de police passe et s’arrête, croyant voir un fou qui s’est échappé …
Les policiers entrent. Je leur donne une description rapide des vêtements de l’homme à la moustache rouge carotte et mal taillée …
C’est tout ce qui me vient à l’esprit comme souvenir, en plus de son regard de braise qui m’avait dévisagée un court moment …
Mon taxi arrive, mais les policiers me préviennent qu’ils auront besoin de moi pour identifier l’homme, et ils vont avertir mes cousines qu’il m’est impossible de les accompagner …
Et voilà ! On me conduit au poste de police pour faire une déposition …
Quelle honte ! Moi qui n’ai jamais mis les pieds dans un poste de police !
On me dit de m’asseoir et d’attendre …
Des larmes roulent sur mes joues …
J’attends et j’ai les yeux bouffis …
J’attends. J’ai envie de vomir en voyant les prostituées et les robineux
qui défilent sous mes yeux …

Une  d’elles me lance au passage « Tiens, une nouvelle? »
C’est la première fois qu’on t’embarque?
Tu vas t’y habituer tu verras!
 
On dirait que les aiguilles de ma montre ne bougent pas …
Une odeur nauséabonde règne dans ce lugubre poste de police…
Ça sent le vieux…
Puis on me dit qu’un homme répondant au signalement a été arrêté et qu’ils doivent me conduire au poste central pour l’identification …
Les larmes coulent sur mes joues de plus belle …Je veux m’en aller chez-moi …
 
Un détective me fait passer dans son bureau. Il a besoin de mon témoignage pour que cessent les attaques qui ont lieu dans le quartier depuis 6 mois …
Il m’apprend que 13 adolescentes ont été attaquées dont quelques unes violées, mais ils n’ont jamais pu avoir une description aussi précise que la mienne.
De plus, les parents ont tous retiré leurs plaintes vu que les fillettes souffraient de sérieux traumatismes.
On me conduit au poste central…
Je suis terriblement nerveuse et j’ai peur que le type me voit.
On me rassure. On m’explique que personne ne peut nous voir à travers la vitre spéciale qui nous sépare des hommes alignés.
Il est maintenant 3 heures et j’ai hâte de retourner chez moi.
Enfin je vois la lumière s’allumer. Neuf hommes arrivent sur une estrade et se mettent en ligne …
« Regardez bien attentivement avant de donner une réponse », me dit le policier.
Je suis un peu décontenancée car tout tourne dans ma tête.
Je dis à l’inspecteur : « C’est étrange, je reconnais la moustache d’un des hommes, le manteau à cet autre et les lunettes de celui-là ainsi que le chapeau qui ne va pas sur cette tête …
À quoi jouez-vous ? »

« Prenez le manteau gris, le foulard noir, le chapeau gris et les lunettes à bordure noire et mettez tout ça sur la moustache rousse et vous aurez votre homme … »
J’étais furieuse qu’on m’ait tendu un piège.
J’ai demandé à partir immédiatement mais il y avait des formalités à régler …
On avait suggéré au suspect de faire venir un avocat et celui-ci demandait sa remise en liberté vu que c’était le Jour de l’An et que le suspect avait 7 enfants qui l’attendaient à la maison…
J’aurais voulu qu’il reste en prison pour toujours mais je pensais à ces 7 enfants qui devaient guetter l’arrivée de leur papa …
J’ai consenti à son élargissement provisoire mais les policiers se sont arrangés pour qu’il lui soit interdit de s’approcher de ma maison jusqu’à sa comparution devant le juge.
Je suis rentrée chez moi à 6 heures du matin et je n’ai pas pu dormir …
J’entendais encore les sarcasmes des prostituées qui, en passant devant moi disaient : « Tiens une nouvelle qui s’est fait poincer ».
J’essayais d’oublier, mais ça me revenait toujours.
J’ai pris une douche. Je me suis emmitouflée dans mes couvertures pour me réchauffer car j’avais mal à l’âme. Je tremblais. Je me sentais souillée d’avoir été contrainte d’aller au poste de police. Et je revivais tout ça …
Puis je me suis préparée à retrouver mon fils qui m’attendait chez ma mère.
J’ai pris l’autobus vers midi et j’ai dormi tout au long du trajet de sorte que j’étais moins bouffie en arrivant à la maison paternelle.
Ma mère s’est doutée que quelque chose n’allait pas. Elle a demandé à mon fils de faire une commission et j’ai pu tout lui raconter.
Je lui ai dit que je resterai ferme, et que je maintiendrai ma plainte pour que cette crapule n’assaille plus jamais de fillettes …
Vers la mi-janvier, un huissier est venu sur mon lieu de travail pour me remettre un subpoena (citation à comparaître à la Cour).
J’étais toute énervée. Le patron contrarié a dû me donner un congé payé pour m’acquitter de ce pénible devoir.
L’inspecteur de police est venu me rencontrer pour me préparer aux questions qui me seraient posées …
Enfin je me croyais prête à témoigner, mais l’avocat de la défense était l’avocat de l’armée canadienne puisque l’accusé était militaire, et les questions fusaient à un rythme infernal. Je n’avais que la permission de répondre par oui ou par non. Après les questions d’usage sur mon identité, il me demande brusquement :
« Mme Gabrielle René, c’est bien votre nom ? »
« Oui, dis-je » …
« Madame, réalisez-vous la gravité de l’accusation portée contre mon client ? »
« Oui ! »
« Madame, comment avez-vous connu mon client ? »
« Je ne le connais pas ! »
« Madame, dans ce cas, l’auriez-vous déjà vu quelque part ? »
« Non ! »
« Madame, réfléchissez, est-ce que vous ne l’auriez pas provoqué par hasard ? »
« Non je ne l’ai jamais vu avant ! »
« Madame, je vous rappelle que vous êtes sous serment » dit-il d’une voix tonitruante …
« Je le sais ! » …
« Quelle robe portiez vous ce soir du 31 décembre dernier »
« Une robe noire, mais je ne vois pas le rapport » …
Et c’est là qu’il me dit de répondre seulement aux questions …
Me voilà furieuse ! J’essaie de m’expliquer, mais le juge donne des coups de marteau et menace de faire évacuer la salle qui commence à s’agiter.
On aurait dit que j’étais devenue la coupable …
Je rageais à l’intérieur de moi et je regardais l’inspecteur de police qui ne pouvait rien faire …
On a vraiment tout fait pour donner le sentiment que j’étais la coupable …
Puis le jury se retire pour délibérer et on me dit que je serais informée de la décision de la cour.
Le policier est venu me reconduire chez moi et avant de quitter l’auto je lui ai demandé pourquoi on m’avait traitée de la sorte.
Il me dit : Écoutez, je ne devrais pas vous le dire mais … »

Si vous voulez savoir ce que le policier m’a révélé, vous devrez venir lire la suite
lors de la prochaine mise à jour de Papy…

À la prochaine…

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