Ma tante Aimée…

Il ne me reste que les enfants de mes cousins de la famille de ma mère…
Pourtant je suis presque certaine que ceux-ci ne savent pas que ma mère et leur grand-père avaient une sœur nommée Aimée…
Aimée a vécu avec mes parents jusqu’à la fin de ses jours…

Comme je ne l’ai pas connue car elle est décédée avant ma naissance, je vais vous raconter à quel point ma mère l’a aimée…

Cette enfant est née tout à fait normale avec des cheveux noirs comme du jais…
Puis, à l’âge de 3 ans elle est tombée en bas de sa chaise haute et s’est blessée au dos…
Elle a grandi avec une terrible bosse au dos…
Si les choses s’étaient produites à notre époque les médecins l’auraient opérée et elle aurait pu faire une vie normale comme tout le monde mais la médecine n’était pas assez évoluée à l’époque des années 1900…

Quand est venu le temps d’aller à l’école, les enfants ont ri d’elle et elle s’est enfuie sans finir la première journée de classe…
Arrivée à la maison elle a déclaré qu’elle ne retournerait jamais à l’école…

Quand sa mère est décédée c’est ma mère qui l’a accueillie chez nous…
Elle avait sa chambre et pouvait recevoir l’éducation que maman pouvait lui donner…
Elle lui a montré à lire, écrire et compter…
Elle était très intelligente mais sauvageonne car quand il arrivait de la visite elle courait vite vers sa chambre pour se cacher…
Si la visite restait pour le repas, maman envoyait la bonne lui porter un plateau…

Elle avait beaucoup de talent pour la broderie fine et aussi le tricot…
En vieillissant elle a appris toute seule à broder…
Elle était tellement réputée que les dames de la haute société lui donnaient des commandes pour
qu’elle fasse un trousseau de baptême avec la grande robe dont on vêtait le bébé…
Après la cérémonie le set demeurait dans la famille pour le prochain baptême…
Le set tout blanc devait être enveloppé dans du papier bleu afin de lui conserver sa blancheur…
Puis, elle a aussi brodé une nappe blanche pour mettre sur le Maître Autel à l’église…
Elle a aussi brodé des chasubles pour les prêtres et divers ornements pour l’église…
Elle ne recevait personne et les commandes passaient par ma mère qui allait acheter ce dont elle avait besoin car elle ne sortait jamais…

Elle se levait très tôt le matin pour faire le ménage du salon et passer l’huile O’Cédar sur le bois foncé autour du tapis de Turquie dont elle était très fière…

Quand ma mère protestait elle disait qu’elle le faisait avec plaisir vu qu’elle n’aurait jamais d’aussi beaux meubles…

Dès qu’elle entendait quelqu’un bouger dans la maison elle remontait le grand escalier en vitesse pour aller se cacher dans sa chambre…
Un jour mon père lui a offert de la conduire à Montréal pour consulter un grand spécialiste et elle a refusé carrément…
Pourtant personne ne l’aurait vue partir dans la grosse voiture Packard qu’il conduisait de main de maitre…

En vieillissant elle avait de plus en plus de mal à dormir et maman a découvert qu’elle couchait à genoux dans sa chaise berçante appuyée sur le dossier qu’elle avait recouvert d’un oreiller de plume…

Parfois elle gardait le chien Pékinois Chinois avec elle et quand maman passait près de sa chambre elle pouvait l’entendre parler avec Bijou et lui dire : Tu es laid avec ton nez plat comme si tu avais rencontré un truck en pleine face, aussi tu peux me comprendre quand j’ai de la peine en me regardant dans le miroir…

Comme j’aurais voulu la connaitre…
Je suis certaine qu’elle m’aurait aimée et qu’elle n’aurait pu résister à mes caresses…

Un jour elle a parlé à papa pour lui demander d’acheter en son nom et à celui de papa un terrain double au cimetière St Frédéric…
Mais ne voulant pas sortir pour faire la transaction…
Il dût tout faire selon ses directives…

Le terrain ne devait accueillir que des Berthiaume et des René…
Quelques années plus tard elle y a été enterrée puis mon père l’a suivie quelques années plus tard…Puis mon frère Gérard…etc…
Je garde un œil sur ce monument en forme de croix pour le faire entretenir et qu’il garde sa couleur gris pâle…

C’est dans le cimetière de la rue Marchand coin Notre dame…
J’y ai passé souvent quand je marchais beaucoup mais maintenant que je marche moins je ne peux plus m’y rendre mais je fais faire l’entretien afin que toute ma famille ne passe pas à l’oubli comme ma tante Aimée…
À bientôt mes amis (es)

Votre Amie